Interrogatoire du Baron de Poilly le 13 octobre 1834

Mémoires et extrait des délibérations des Chambres de commerce et des chambres consultatives des arts et manufactures : actes de l’enquête commerciale et autres documents relatifs au projet de loi sur les douanes qui sera soumis à la discussion des chambres législatives au commencement de leur session, 1835

 

M. LE BARON DE POILLY, PROPRIÉTAIRE DE LA VERRERIE ROYALE DE FOLEMBRAY (Aisne) (13 octobre 1834).

D. Quels sont les produits de votre établissement ?

R. Je fabrique des bouteilles de toutes espèces et des cloches pour les jardins. Je me livre de préférence à la fabrication des bouteilles champenoises pour les vins mousseux. Je puis faire, par an, environ 3,ooo,ooo bouteilles et 5o,ooo cloches. - Précédemment j'avais ajouté à cette fabrication celle de la gobeleterie et du verre à vitres, blanc et demi-blanc ; mais j'y ai renoncé temporairement.

 D. Combien vendez vous les 1oo bouteilles de 1" choix ? quel est le prix du 2° choix ?

R. Prises en fabrique à Folembray, je vends les bouteilles champenoises 23 fr. le 1" choix, 18 fr. le 2° choix. Les bouteilles parisiennes ordinaires, 16 fr. le 1" choix, 14 fr. le 2° choix. - Chaque cent est garni de 1 bouteille pour couvrir ou indemniser de la casse en route. Les ventes pour la Champagne sont à douze mois de terme, fin de mars de chaque année ; - Celles pour Paris et la province, à quatre mois de l'expédition.

D. Quel est le prix des cloches ?

R. 6o fr. le cent garni de 4 p. o/o pour la casse en route; Le terme de crédit est de quatre mois après l'expédition.

D. Quel combustible employez-vous ?

R. Le charbon de terre et de bois ; mon établissement est au centre d'un pays assez boisé. Je donne la préférence à la houille ou charbon de terre, lorsque le prix du bois n'est pas en harmonie avec ce premier combustible.

D. A combien vous reviennent-ils?

R. La houille d'Anzin, de 2 fr. 75 cent. à 3 fr. 25 cent. l'hectolitre; La houille de la Belgique, de 2 fr. 90 cent à 3 fr.4o la manne. Cette mesure est de 8 à 1 o p. o/o plus forte que l'hectolitre. "A. La variante dans le prix de revient de ce combustible provient de la hausse ou de la baisse dans le prix du fret. La corde de bois dite billette, de 1 6 pieds de long, 2 pieds de haut et 22 pouces de billettes, ne doit pas dépasser 9 fr. Au-dessus de ce prix je brûle la houille, parce que le rapport de l'un à l'autre n'est plus en harmonie.

D. Où prenez-vous votre charbon ?

 R. A Anzin et à Mons.

D. Combien vous coûte-t-il à Anzin, et quels sont les frais de transport ?

 R. 1 fr. 4 1/2 c. I'hectolitre pris à Anzin, et de 1 fr. 27 cent. à 1 fr. 77 cent. de transport. - Le transport d'Anzin à Chauny se fait par le canal du Crozat, ou de Saint-Quentin, et par terre de Chauny à Folembray.

 D. A quelle distance êtes-vous d'Anzin ?

R. A trente lieues. Les droits de navigation sur le canal sont trop élevés.

D. Combien vous coûte le charbon pris à Mons, et quels sont les frais de transport ? 

R. 9o centimes la manne, prise à Jemmapes ou à Boussu; cette mesure, ainsi que je l'ai déjà dit, est de 8 à 1 o p. o/o plus forte que l'hectolitre. - Je paie de 37 à 39 centimes pour droits d'entrée en France et de sondage à Condé. - Le transport se fait également jusqu'à Chauny par le canal, et par terre, de Chauny à Folembray; il s'élève de 1 fr. 62 cent. à 2 fr. 12 cent. par manne.

D. A combien s'élève votre dépense en combustible ?

R. de 16o à 18oooo fr. par an. ,

D. Le genre de produits que vous fabriquez, aurait-il à redouter la concurrence étrangère ?

R. Oui, celle de la Belgique, qui a des verreries établies sur nos frontières et qui sont voisines des mines de charbon.

D. Comment souteniez-vous la concurrence avec la Belgique avant qu'elle fût séparée de la France?

R. Lorsque la Belgique était réunie à la France, il y avait moins de verreries qu'actuellement; les ventes étaient plus étendues et le commerce des vins mousseux moins considérable. La concurrence n'avait aucun résultat fâcheux ; et les fabricants plaçaient facilement leurs produits. . Mais depuis la séparation de la Belgique, de nouvelles verreries y ont été construites; ces établissements en grand nombre se trouvent placés sur les houillières de Charleroy et des environs. En France, et dans la confiance de cette séparation, il a été construit aussi plusieurs verreries, dont la majeure partie est en souffrance et même en chômage lorsque le vin manque ou ne peut être mis en mousseux. - Il est certain qu'une concurrence étrangère, même balancée par des droits proportionnés et réciproques, amènerait la ruine de plusieurs de nos verreries, et diminuerait l'importance des autres. - De là résulterait l'obligation de renvoyer partie des ouvriers, et de réduire la consommation des bois, charbons et autres matières premières.

D. Quel est le poids de 1oo bouteilles ?

R. 1oo kilogrammes y compris le foin ou la paille d'emballage. La bouteille champenoise pèse de 28 à 3o onces.

D. Quel est le prix du transport de votre fabrique à Paris ?

R. Par terre de 2 fr. 75 cent. à 3 fr. 25 cent. les 1oo bouteilles. Le transport par eau ne me présente aucun avantage, parce que la navigation de Chauny à Paris éprouve souvent des entraves et des retards, par les barrages, travaux et chômages auxquels on assujettit la rivière d'Oise. Dans l'espace de quelques années, j'y ai eu 5 bateaux de coulés bas

 ( M. Brière de Mondetour, ingénieur en chef de la navigation de l'Oise, a démontré que le fait des batcaux coulés bas n'était pas un résultat des ouvrages exécutés depuis peu sur l'Oise ; que ce sont, au contraire, les fréquents naufrages dont cette rivière était le théâtre qui ont déterminé l'administration à entreprendre des constructions au moyen desquelles elle espère prévenir de semblables accidents.)

D. Quel serait le prix du transport de 1oo bouteilles de la Belgique à votre établissement ?

R. Il serait à peu près le même que celui de la manne de charbon.

D. Croyez-vous que ces frais de transport dont les produits belges seraient grevés, formeraient une protection suffisante pour votre établissement ?

R. Je ne le crois pas. Remarquez d'ailleurs qu'il ne faut pas calculer les frais de transport des produits belges jusqu'à mon établissement seulement, qui est à deux lieues du port de Chauny, mais jusqu'à Paris, où ils arriveraient directement. Ainsi, en suivant le même mode d'expédition, j'aurais à transporter mes bouteilles, par terre, de Folembray au port de Chauny , où elles seraient mises en bateau, ce qui occasionnerait une casse extraordinaire et des frais généraux qui pèseraient plus fortement sur nous que sur les établissements belges.

D. Croyez-vous que ce désavantage puisse être compensé par un droit d'entrée ?

 R. Naturellement, quand on a longtemps vécu à l'ombre d'une prohibition, la première impression est d'y tenir. Peut-être reconnaîtrait-on la possibilité de laisser entrer moyennant un droit; alors, ce ne serait plus qu'une affaire de chiffres; mais, ainsi que je l'ai expliqué en ma 12° réponse, il en résulterait la ruine et la réduction de plusieurs établissements français. -

D. Possédez-vous des connaissances assez étendues sur la fabrication étrangère pour déterminer ce droit ?

R. Non; mais s'il était nécessaire, je pourrais me procurer ces renseignements et les transmettre au conseil dans quelques mois. Je lui ferai remarquer, dès à présent, que si, à la faveur du changement de tarif, la Belgique parvenait, comme cela est à craindre, à concourir aux approvisionnements de la Champagne, les verreries de la Lorraine tomberaient; car elles ne se soutiennent que par la vente de leurs produits en Champagne. - ' , Or, comme ces verreries ne consomment que des bois de l'État, l'Etat ressentirait aussi le contre-coup de leur chute.

 

 


 

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