Hygiène des verriers.

La Verrerie et la Cristallerie sont, au point de vue de l’hygiène industrielle, régies par le décret de 1810 et les compléments qu’il a reçus. Ce décret vise surtout les inconvénients des diverses industries pour le voisinage des usines. Dans l’espèces, ces inconvénients sont, en général, peu importants et il n’y a pas lieu d’y insister. Nous ne considérerons donc, en verrerie et cristallerie, que l’hygiène professionnelle.

Disons tout de suite que le décret de 1810 ne permet guère à l’autorité d’intervenir en ce qui touche à l’hygiène de l’ouvrier verrier, et ce sont, comme nous le verrons tout à l’heure, d’autres documents législatifs qu’on peut invoquer pour sa protection.

On peut dire en tous cas que cette protection légale est ici plus justifiée peut-être que partout ailleurs, car il est peu industries qui nécessitent un plus grand effort, ni dans de plus mauvaises conditions. Un ouvrier souffleur de bouteilles, qui produit 650 bouteilles environ dans une journée, expire, pendant les huit heures du travail effectif, un mètre cube d’air sous une pression de 1/10e d’atmosphère ; Un ouvrier manchonnier expire un volume de 6 à 7 mètres cubes, et il en est de même pour l’ouvrier bouleur. Il y a dans ce travail un supplément énorme de dépenses, dû à l’expiration exagérée.

Mais il convient de considérer d’abord que ce travail excessif a lieu devant les fours, dans une atmosphère surchauffée, et que, indépendamment des effets locaux de calorique rayonnant sur la peau et des érythèmes, furoncles, éruptions d’acné, qui sont, avec les brûlures, les accidents extérieurs les plus fréquents, on peut observer’ à cause de la température excessive et de la sur-activité du système circulatoire, des hypertrophies du cœur (Maisonneuve, Shann), des néphrites spéciales (Layet).

D’autre part, l’effort continu de l’expiration détermine l’emphysème pulmonaire, produit parfois la hernie, occasionne souvent la dilatation en ampoule du canal de Stenon (joues cassées), épaissit enfin la muqueuse des joues qui, blanchâtre et fendillée, constitue un stigmate professionnel caractéristique. A force de regarder dans le four pour cueillir le verre, les verriers finissent par constater des troubles visuels qui se terminent par la cataracte. Par la suite de nouvelles dispositions prises ; des masques sont prévue pour leurs protection.

L’influence de la température du milieu et l’influence de l’effort spécial se compliquent, chez les verriers, d’une maladie si commune autrefois parmi eux qu’on l’a appelée la syphilis des verriers, alors qu’elle est la syphilis de tout le monde, celle dont Ricord disait, par boutade, qu’on l’a eue, qu’on l’a, ou qu’on l’aura. La fréquence chez les verriers de cette horrible maladie les faisait autrefois accuser injustement de débauche, et c’est seulement en 1858 que le professeur Rollet (de Lyon) montra que c’est en se servant successivement de la même canne que les ouvriers se communiquaient l’infection, et qu’il suffisait d’un infecté pour contagionner une équipe.

Rollet ajoutait à cela la promiscuité de la bouteille, où chacun, tour à tour, se désaltère, assoiffé par la température excessive.

Contre cette contagion, on a préconisé l’emploi d’un embout mobile individuel, que la législation actuelle n’exige encore que pour les enfants et les jeunes gens. On a proposé la visite sanitaire mensuelle des ouvriers et une visite de chaque nouvel arrivant à l’usine. Enfin on a insisté sur la nécessité de faire connaître par une affiche, aux ouvriers, le danger auquel ils sont exposés. Ce danger, ils le connaissent pour la plupart, et, s’ils s’y exposent, - moins qu’autrefois sans doute, - c’est plus par insouciance que par ignorance.

A côté de ces dangers possibles, les verriers, tailleurs de cristal, polisseurs de glace, etc., sont exposés encore aux pneumoconioses résultant de la respiration de poussières dures très fines, telles que la silice, le sable, les débris pulvérisés de verre ou de cristal.

Enfin, les matières toxiques qu’ils manipulent les exposent à des intoxications professionnelles diverses par ce que j’ai appelé les grands poisons industriels : Plomb, Mercure, Arsenic.

Layet (de Bordeaux) a dressé des tableaux intéressants de toutes les professions qui exposent à ces intoxications. Je relève parmi celles qui comportent le danger d’intoxication saturnine :

 

1° Fabriquant de verres mousseline et vitraux à dessins pour portes, cloisons, etc. – Saupoudrage et brossage des objets émaillés au vernis liquide.

2° Ouvriers des manufactures de glaces. – Polissage des glaces avec potée d’étain.

3° Ouvriers des cristalleries. – Manipulation du minimum.

4° Tailleurs de cristal ; - Ebarbage, ponçage à la meule, polissage avec potée d’étain.

5° Verriers ; - Broyage et pulvérisation des débris de cristaux.

 

Le même auteur signale parmi les professions qui exposent à l’intoxication arsenicale :

 

1° Fabricants de pierres fausses. – travail d’imitation de la malachite ou de verres colorés avec des sels arsenicaux.

2° Fabricants de verre et de cristal. – Affinage du verre, ramonage des fours (arséniate de soude et acide arsénieux renfermé dans le fiel de verre et dans la suie des fours).

 

Chez les miroitiers et étameurs de glace les accidents observés sont ceux de l’intoxication mercurielle. Mais, en la signalant ici, nous n’y insistons pas parce qu’elle tend à disparaître pour la cause que M. Damour a indiquée ci-dessus : l’abandon de l’étamage d’étain. C’est à la verrerie et à la cristallerie proprement dite, c’est à dire à la fabrication, à la taille, à la décoration des objets de verre ou de cristal que nous nous attachons surtout.

Là, c’est surtout l’intoxication saturnine qui est à craindre, et c’est presque exclusivement par les matières pulvérulentes qu’elle se produit. Empêcher ces matières de se répandre dans l’atelier par une ventilation aspirante localisée à la table de travail ; faire porter l’ouvrier, en certains cas, un masque spécial ; lui faire comprendre la nécessité de soins de toilette minutieux ; ne pas lui laisser prendre son repos à l’atelier ; enfin l’engager à éviter les excès alcooliques, voilà toutes les mesures d’hygiène qui sont nécessaires. Les unes peuvent être prises et doivent être prises par l’industriel, qui y est tenu par les lois et règlements ( décret du 10 mars 1894 ) ; les autres demandent le concours de l’ouvrier, qu’il faut instruire du danger soit par l’affichage d’instructions précises, soit de toute autre manière.

Cela est d’autant plus nécessaire que les lois ne sauraient tout prévoir, qu’elles se bornent souvent dans leur protection (quand il s’agit, par exemple, du surmenage physique) à des prescriptions applicables aux enfants et aux femmes. Enfin, là comme dans toutes les industries, les usines où les précautions hygiéniques sont le mieux prises n’avaient pas attendu la loi pour les prendre. Ce sont aussi celles où les patrons bienveillants on des ouvriers disciplinés.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, rappelons ici les principales dispositions légales qui sont applicables aux conditions d’hygiène et de salubrité dans les verreries et cristalleries.

La loi du 2 novembre 1892 (section II, art. 4) défend en fabrique tout travail de nui pour les enfants de moins de 18 ans, les filles mineures et les femmes. Une dérogation permanente peut être accordée en vertu de cet article 4 à certaines industries déterminées et dans les conditions formulées par un décret (décret du 15 juillet 1893). D’ailleurs, l’article 6 est ainsi conçu : « Néanmoins dans les usines à feu continu les femmes majeures et les enfants du sexe masculin peuvent être employés tous les jours de la semaine, la nuit, aux travaux indispensables, sous la condition qu’ils auront au moins un jour de repos par semaine.

«Les travaux tolérés et le laps de temps pendant lequel ils peuvent être exécutés, seront déterminés par un règlement d’administration publique.»

Ce règlement est le décret, ci-dessus cité, du 15 juillet 1893, qui dit à son article 4 :

«Dans les usines à feu continu où les femmes majeures et les enfants du sexe masculin sont employés la nuit, les travaux tolérés pour ces deux catégories de travailleurs sont les suivants :

Verreries :- Présenter les outils, faire les premiers cueillages, aider au soufflage et au moulage, porter dans les fours à recuire, en retirer les objets, le ou dans les conditions prévues à l’article 7 du  décret du 13 mai 1893 :

«Lorsque les femmes majeures et les enfants sont employés toute la nuit, leur travail doit être coupé par des intervalles de repos représentant un temps total de repos au moins égal à deux heures.»-«La durée du travail effectif ne peut d’ailleurs dépasser, dans les 24 heures, dix heures pour les femmes et les enfants.»

Rappelons que, si cet article, dans son ensemble, s’applique aux usines à feu continu, les verreries ne peuvent employer des femmes au travail de nuit, mais seulement des enfants du sexe masculin.

Les conditions de l’article 7 du décret du 13 mai 1893, auxquelles se réfère l’article 4 du décret du 15 juillet 1893, sont les suivantes :

«Art. 7. Les enfants au-dessous de 13 ans ne peuvent, dans les verreries, être employés à cueillir et à souffler le verre.

«Au-dessus de 13 ans jusqu’à 16 ans, ils ne peuvent cueillir un poids de verre supérieur  à 1000 grammes. Dans les fabriques de bouteilles et de verre à vitres, le soufflage par la bouche est interdit aux enfants au-dessous de 16 ans.

«Dans les verreries où le soufflage se fait à la bouche, un embout personnel sera mis à la disposition de chaque enfant de moins de 18 ans.»

 

Terminons en disant que l’article 14 du décret du 13 mai 1893 interdit aux enfants au-dessous de 18 ans, aux filles mineures et aux femmes l’accès des ateliers où l’on fait le grattage des émaux dans les fabriques de verre mousseline, des ateliers d’étamage des glaces par le mercure, des ateliers où l’on fait le polissage à sec du verre et que l’article 16 du même décret spécifie que dans les verreries, cristalleries et manufactures de glaces, les enfants au-dessous de 18 ans, les filles mineures et les femmes ne seront pas employées dans les ateliers où les poussières se dégagent librement et où il est usage de matières toxiques.

Ces prescriptions spéciales, applicables aux femmes, filles mineures et enfants dans les verreries et ateliers où se travaille le verre ou le cristal, n’empêchent pas l’obligation de se conformer aux dispositions générales de la loi du 12 juin 1893 et du décret du 10 mars 1894 qui  s’appliquent d’une façon générale à tous les travailleurs.

De plus, pour les hommes adultes, les prescriptions du décret-loi du 9 septembre 1848, relatives à la durée du travail, sont applicables dans les verreries.

Ce texte est extrait d'une revue parue le 13 février 1896  " revue générale des sciences" N°3 : écrit par le Docteur Henri Napias, inspecteur général des services administratifs au ministère de l'intérieur.

 

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